Il s’agit du nombre de ménages ayant subi une expulsion locative en France en 2024 (Le Monde, 2025). Le chiffre ne parle cependant que par comparaison avec les années précédentes : il est en hausse de 29% sur un an, et même de 51,5% si l’on remonte à l’avant-COVID (2019), alors qu’il était relativement stable dans la décennie précédente, avec environ 10 000 procédures par an, d’après les chiffres du Ministère de la Justice. La Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) estime, par ailleurs, que 140 000 personnes sont en situation d’attente d’expulsion, sachant que 2/3 des ménages concernés partent avant la procédure d’expulsion par les forces de l’ordre, pour éviter ce moment violent.
Comment expliquer ce phénomène? La période dite de la « trève hivernale » (du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante) n’ayant pas changé, ce sont surtout les paramètres économiques qui ont pesé : hausse des tarifs de l’énergie, inflation pesant sur le coût de la vie, et hausse des loyers, en termes relatifs, qui, cumulés aux charges, s’élèvent désormais à plus de 34% des revenus des locataires, alors que le poids global du logement représente plutôt 15% des revenus des propriétaires (moyenne d’ensemble à 27,3% selon l’INSEE, 2024). Non pas tant parce que leur montant s’est envolé, puisque l’augmentation étant limitée par l’indice de référence des loyers, voire par des mesures locales de plafonnement des loyers, que parce que les ménages locataires se sont paupérisés : les revenus des locataires ont en effet augmenté moins vite que l’inflation et les loyers, voire ont baissé pour certaines catégories d’actifs. Voir à ce sujet les démonstrations d’Alain Trannoy ou de Jacques Friggit (2024).
Il convient cependant de mentionner aussi les premières conséquence possibles de la loi Kasbarian-Bergé n°2023-668 du 27 juillet 2023 « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite », même s’il est encore trop tôt pour en mesurer les effets propres. Cette loi, parfois nommée loi « anti-squats », a étendu en effet la définition du domicile à tous les types de biens, et non seulement les résidences principales, a durci les peines encourues et réduit les délais de procédure au bénéfice du bailleur.
Ces dispositions, qui auraient pu a priori aider à remettre sur le marché locatif des biens laissés vacants par peur des impayés, semblent donc d’abord avoir réduit les possibilités de recours des ménages les plus fragiles. En outre, elles placent l’Etat face à une contradiction introduite par la loi DALO sur le droit au logement opposable (loi n° 2007-290 du 5 mars 2007) : en augmentant le besoin de relogement, alors même que les finances publiques se réduisent, l’Etat n’assure plus sa mission d’hébergement d’urgence et se retrouve attaqué par les associations et les collectivités subissant une hausse importante du sans-abrisme.
Les dernières mesures en cours de discussion porteraient donc plutôt sur des mesures de conciliation entre intérêt du bailleur et droit au logement : possibilités d’échelonnement de dette, maintien et versement direct des APL au bailleur, même en cas de défaillance du locataire et de procédure, et maintien à domicile par le versement compensatoire au bailleur d’une indemnité de l’Etat en cas d’incapacité à mettre en oeuvre une expulsion et un relogement. Le décret en Conseil d’Etat reste en attente de publication.