Le chiffre de la semaine : 15% des bâtiments encore en terre en France
Malgré l’image de modernité que le secteur de la construction a pu acquérir au cours du 20e siècle, avec le recours au béton, aux ossatures d’acier et autres matériaux plus complexes, environ 15% des bâtiments en France sont encore en terre (Keita & Fabbri, 2023). Cette ressource, d’accès aisé, reste très simple à travailler et constitue la base de beaucoup d’architectures vernaculaires, les 4 grandes techniques étant représentées en France : pisé (terre compactée dans des coffrages de banches, notamment en Dauphiné), adobe (briques de terre compactée séchée, ancêtre de la BTC, ou brique de terre comprimée), torchis (comblement de terre et de paille en ossature bois, comme pour les colombages d’Alsace et des bourgs médiévaux) et bauge (terre empilée et taillée au paroir, surtout dans l’Ouest).
Ces techniques se sont largement perdues, pourtant elles retrouvent toute leur place dans le contexte contemporain de décarbonation du bâtiment. Le matériau, en lui-même, n’est pas émetteur de carbone (pas de cuisson), et l’analyse en cycle de vie (ACV) montre, au global, des économies importantes : -70% d’émissions sur des matériaux de parement, voire plus encore sur les structures, si la terre est de provenance locale (<20km) et recyclée à partir de décaissements de chantiers – la terre étant recyclable à l’infini – sachant que les murs, sans être de très bons isolants, ont cependant une forte inertie et offrent un confort acoustique et hygrothermique limitant tout de même les déperditions d’énergie sur la durée de vie du bâtiment. Ils n’émettent pas non plus de polluants volatils. Cette architecture n’est pas réservée aux campagnes, puisqu’on trouve des immeubles en terre de 4 à 5 étages à la Croix-Rousse, au centre de Lyon (voir notamment la synthèse d’Arnaud Misse et al., 2020, et les travaux du laboratoire CRATerre de Grenoble, spécialiste du sujet depuis les années 1980).
Forts de cette tendance, plusieurs promoteurs se sont lancés dans des bâtiments démonstrateurs : Egis pour le foyer de l’enfance à Strasbourg, les bureaux du BRGM à Orléans; Demathieu & Bard vers Toulouse; ou encore Ogic à Lyon, avec le projet primé de l’Orangerie (Ydéal Confluence).
L’expérience séduit, cependant plusieurs obstacles demeurent. Le premier est la sensibilité à l’eau, qu’il faut réduire par une assise en pierre (ou en béton) et une bonne couverture, voire un liant – ce qui dénature quelque peu le matériau, dans ce cas. La technique aurait également une moindre résistance à la charge, travaillant seulement en compression – mais les normes de construction seraient exagérément élevées, selon les défenseurs de cette ressource, avec par exemple des exigences de charge 10 à 20 fois plus élevées que nécessaire, lorsque le matériau peut assurer déjà une résistance 5 fois supérieure à la charge habituelle. Des ossatures béton ou bois restent cependant exigées pour garantir les structures.
Enfin et surtout, on parle de rupture dans l’évolution des savoir-faire : en France, seuls 650 professionnels, tous secteurs confondus, maîtrisent les techniques liées à la terre, et les représentations de ce matériau restent chargées de préjugés : une ressource du “pauvre”, des techniques méconnues (Leylavergne, 2012). Ces biais limitent l’industrialisation des procédés et s’avèrent encore coûteux en expérimentations et et main d’oeuvre, tandis que les assureurs restent frileux face à l’hétérogénéité de ces biens.
Ainsi, malgré de forts investissements publics/privés (groupe Quartus, Union européenne, région Île-de-France), l’usine Cycle Terre de Sevran ouverte en 2020 pour la récupération des terres excavées du Grand Paris Express, et productrice d’une documentation riche sur le sujet (ATEX, guides de conception, fiches produits), n’a pas trouvé son équilibre économique et a été déclarée en faillite en avril dernier : la décarbonation du bâtiment mérite donc encore des engagements plus forts de la part du secteur.